For my English-speaking readership, the present blog is the French adaptation of this post addressing particle physics simulations for particle collider experiments. I introduce in particular how complex quantum field theory calculations can be automatically made even by a six-year-old kid.
Comme indiqué dans la version anglaise de ce post, je voulais initialement discuter de la mise en place d’un projet de recherche de sciences participatives sur Hive, un tel projet étant parfois appelé projet de sciences citoyennes. Au vu de mon expérience avec mes stagiaires de licence actuels, qui n’avaient quasi pas de connaissances en physique des particules au début de leur stage, je suis plutôt convaincu qu’un tel projet pourrait fonctionner sur Hive. Des acteurs non-scientifiques pourraient ainsi contribuer et participer à une étude de physique. En plus de l’impact scientifique, cela fournirait un bel exemple d’utilisation de la blockchain Hive pour décrire l’évolution du projet de façon systématique et transparente. Bref, nous pourrions avoir ici un super précédent.
Mais voilà, tout cela demande au moins des participants prêts à investir quelques heures par semaine, et ce durant plusieurs mois. Et du coup, ben j’hésite vachement. Les commentaires dans la version anglaise de ce post sont assez positifs. Le mot “peut-être” est ma conclusion actuelle, et je reste indécis. N’hésitez pas à apporter votre contribution à ce débat interne avec moi-même dans les commentaires de ce post.
En attendant, parlons de physique. Après plusieurs posts sur les neutrinos, il est temps de changer de sujet. Je vais parler cette fois de calcul numérique et de simulations de physique des particules. L’idée est de discuter comment quelqu’un qui ne connaît rien ou pas grand chose en théorie des champs quantiques pourrait simuler des dizaines de milliers de collisions telles que celles ayant lieu au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN sur un ordinateur. Et cette idée n’est pas folle. Mon fils a réussi à produire des simulations de collisions menant à la production d’un boson de Higgs quand il avait six ans…
Ainsi, dans ce post je discuterai de comment des collisions telles que celles ayant lieu au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN (le LHC) fonctionnent. Ensuite, nous attaquerons la situation du point de vue des codes numériques, dont le développement consiste en un sujet secondaire de mes activités de recherche.
[Crédits: Image originale de phsymyst (CC BY 2.0)]
Des protons en tant que sondes des hautes énergies
Dans un collisionneur de particules circulaire comme le LHC, des protons sont accélérés et organisés en deux faisceaux intenses qui sont ensuite envoyés l’un dans l’autre à différents endroits de la machine. Nous avons dans cette phrase unique deux concepts importants (c’est un deux pour un) : les hautes énergies et hautes intensités.
Commençons par le premier de ces termes. Pour le moment, le statut expérimental du Modèle Standard de la physique des particules est que nous l’avons exploré assez profondément aux énergies que l’on peut atteindre. Cependant, nous savons éperdument qu’une fois extrapolé aux énergies plus importantes, le Modèle Standard souffre de limites conceptuelles et pratiques. Il faut donc absolument sonder ce régime d’énergies plus importantes, afin de pouvoir éventuellement découvrir de nouvelles particules et de nouveaux phénomènes pouvant s’occuper des problèmes du Modèle Standard.
C’est ce qui fait que le domaine de la physique des hautes énergies vit une période excitante. On explore… encore et encore… et on pourrait trouver des choses… ou pas. Il n’y a que des inconnues et aucune garantie. La classe quoi ;)
Les collisionneurs de particules sont un moyen de mener cette exploration à bien. Grâce à des champs électriques très intenses, on peut accélérer des particules chargées à des vitesses incroyables. Dans le tunnel du LHC (qui est simplement la piste de course la plus rapide au monde), chaque proton atteint la vitesse de 99.99999896% de la vitesse de la lumière. Cela correspond à une énergie égale à 6500 fois sa masse.
La relativité restreinte nous explique ensuite ce qui peut se passer : une collision très énergétique peut mener à la production de particules très massives. La masse n’est qu’une des formes d’énergie existant au niveau microscopique (comme déjà discuté avec @mintrawa dans un autre post il me semble). La règle d’or de la physique nous disant que l’énergie totale est conservée, on peut tout à fait convertir l’énergie cinétique énorme des protons qui se collisionnent en énergie de masse pour produire une nouvelle particule. Tant que la somme reste constante, tout va bien.
[Crédits: P. Stroppa (CEA)]
D’autre part, tout collisionneur de particules qui se respecte utilise aussi des champs magnétiques intenses. La raison n’est pas ici de pouvoir accélérer les particules, car pour cela, il nous faut seulement des champs électriques. Les champs magnétiques ont un autre rôle : ils permettent de contrôler la trajectoire des particules, et d’éviter que nos faisceaux soient envoyés… par exemple au Québec chez @ancolie. De plus, ces mêmes champs magnétiques permettent de concentrer les particules pour avoir des faisceaux fins et intenses. Avec un tel faisceau, il devient possible d’avoir un fort taux de collisions.
Ces faisceaux intenses permettent alors d’avoir un nombre suffisant de collisions pour détecter potentiellement quelque chose de rare (c’est le principe de l’aiguille dans la botte d’aiguilles). Bien entendu, il nous faut aussi une bonne stratégie d’analyse pour se débarrasser du bruit de fond des processus bien connus et fréquents. C’est-à-dire qu’il nous faut pouvoir trouver la bonne aiguille dans la botte.
Des collisions de protons en 3 minutes
Mettons-nous dans le contexte du LHC. On collisionne des faisceaux de protons fortement accélérés. Ces protons sont faits d’entités élémentaires appelées quarks, comme discuté brièvement ici. Une fois accéléré à une vitesse proche de la vitesse de la lumière, cette vision du proton n’est plus appropriée. Un proton peut alors être vu comme un système complexe fait d’un grand nombre de quarks, d’antiquarks (les antiparticules correspondant aux quarks) et de gluons (les médiateurs de l’interaction forte) en vertu des propriétés de l’interaction forte à haute énergie.
Lors d’une collision de protons, nous aurons une collision entre les constituants des protons, c’est-à-dire des collisions de quarks, d’antiquarks et de gluons. Bien que la plupart du temps, les protons se traversent comme si de rien n’était, de temps en temps quelque chose se passe. L’un des constituants du premier proton et l’un des constituants du second proton s’annihilent, ce qui mène à la production d’un état final quelconque.
De nombreuses options existent pour cet état final. Mais elles ne sont pas toutes équiprobables. Certaines vont être associées à des taux d’occurence plus élevés et d’autres à des phénomènes plus rares. Afin de déterminer cela quantitativement, on se base sur ‘l’équation gouvernant notre monde’ (qui peut être celle du Modèle Standard ou de tout modèle de physique des particules selon nos envies). Cette équation contient tous les ingrédients permettant de calculer les taux de production des différents états finaux pouvant être produits dans un collisionneur.
Malgré cela, il est impossible de prédire le destin d’une collision donnée. Ce que nous pouvons faire à partir des différents taux de production est d’associer une probabilité à chaque possibilité. Des taux de production importants donnent des probabilités importantes, et des taux plutôt petits donnent des probabilités plutôt faibles. Cela nous explique naturellement pourquoi il nous faut beaucoup de collisions dans une expérience. Observer un état final rare est peu probable, mais un grand nombre de collisions nous garantit que malgré une faible probabilité cela se produira quelques fois.
[Crédits: CERN]
Cette vision probabiliste nous provient de la nature quantique du monde microscopique. Les prédictions pour le résultat d’une collision donnée ne sont plus déterministes, mais probabilistes. Par conséquent, il nous faut effectuer un très grand nombre de collisions pour pouvoir connecter probabilités et taux d’interaction. Même si cela semble bizarre, plus de 100 ans de données nous prouvent que ça marche !
Une équation de base pour tous les calculs théoriques
Un petit peu plus haut dans ce post, j’ai mentionné l’existence d’une équation de base permettant de faire tous les calculs nécessaires pour un collisionneur de particules. Cette équation est le lagrangien du modèle de physique des particules.
Ce lagrangien contient tous les blocs de base de la théorie : comment les particules se propagent, lesquelles interagissent avec lesquelles, lesquelles sont massives, lesquelles sont non massives, etc. Tout y est, sans exception. Le lagrangian d’un modèle est la manière de le définir de façon unique.
Ce lagrangien permet de relier modèle et taux de production pour un processus en collisionneur grâce au concept de règles de Feynman, et via le calcul d’intégrales monstrueuseusement multiples. La bonne nouvelle est qu’il existe une simple recette de théorie des champs quantiques que nous pouvons suivre afin de relier lagrangien aux calculs d’intégrales compliqués (que nous pouvons ensuite évaluer numériquement). Cette recette peut être enseignée à un ordinateur qui se chargera de l’appliquer systématiquement et correctement, à notre place.
Aujourd’hui, nous avons plusieurs codes numériques permettant de faire ces calculs, et ils sont utilisés quotidiennement par les physiciens. Un exemple de code est MadGraph5_aMC@NLO. Il fonctionne très simplement. Il suffit d’indiquer le modèle de physique, le processus qui nous intéresse, les détails de notre collisionneur préféré, et le tour est joué. En plus tout ça peut se faire de façon très ‘user-friendly’ grâce au langage Python.
[Crédits: Edward Tufte (Twitter)]
Toute la suite est automatique. Cela signifie qu’en fait, tout un chacun peut utiliser ce code. Que cela soit mon fils, mes étudiants de licence ou même un ou une non-scientifique. Le seul prérequis est d’avoir une idée du type d’état final qui nous intéresse. C’est tout !
Bien entendu, cela peut se faire et les calculs sont exacts uniquement parce que des physiciens se sont cassé les dents à valider toute la procédure, en comparant des tonnes de prédictions automatiques à celle de calculs plus anciens. C’est cependant comme cela que le progrès se construit : brique par brique sur base des faits accomplis par les générations précédentes.
En utilisant ces codes de simulation, on peut obtenir en quelques minutes des prédictions pour les taux de production de n’importe quel processus physique. Mais ce n’est pas tout. On peut en bonus obtenir des dizaines de milliers de simulations de collisions associées au processus considéré.
Cela provient du fait que le calcul utilise une méthode numérique d’intégration adaptative. Il s’agit d’un outil Monte Carlo permettent de calculer des intégrales hautement multiples, et qui explore toutes les configurations possibles de l’état final (par exemple : on produit deux particules, la première allant vers le haut et la deuxième vers la droite). La méthode Monte Carlo donne un poids à chaque configuration en fonction de leur niveau de rareté. On peut alors extraire les configurations les plus probables en fonction de ce niveau de rareté, c’est-à-dire en respectant les taux d’apparition comme dans une vraie expérience en collisionneur.
Résumé : des simulations de collisions de particules sur son ordi
Dans ce post, j’ai commencé une discussion sur les collisionneurs de particules tels que le LHC au CERN, et sur les phénomènes physiques qui y ont lieu. L’épisode 2 suivra prochainement. Pour le moment, j’ai discuté de l’importance des champs magnétiques et électriques permettant de contrôler ce qui se passe dans un collisionneur, et qui ont permis dans le cas particulier du LHC d’envoyer des protons à 99.99999986% de la vitesse de la lumière. Il s’agit d’un record du monde de vitesse.
Lorsque deux protons accélérés à de telles vitesses se rencontrent, une réaction a lieu au niveau de leurs constituants (des particules élémentaires appelées quarks, antiquarks et gluons). La relativité restreinte nous autorise alors à espérer pouvoir convertir l’énergie cinétique présente dans la collision en énergie de masse liée à la production de nouvelles particules au-delà du Modèle Standard de la physique des particules.
Dans ce contexte, il est crucial de pouvoir calculer les taux de production de tout processus, et de simuler les collisions correspondantes de la même façon que celle avec laquelle elle se produirait dans une vraie expérience. Cela permet ensuite une bonne comparaison de la théorie aux données. Cette tâche met en jeu des calculs assez complexes de théorie des champs quantiques. Cependant, ces calculs peuvent être automatisés, de sorte que n’importe qui peut les effectuer grâce à des programmes numériques publics, sans trop savoir ce qu’il se passe derrière la boîte noire de l’outil de calcul.
La seule chose qu’il faut renseigner dans l’outil est le modèle de physique, le processus et le collisionneur qui nous intéressent. Le reste (incluant la théorie des champs quantiques) se fait alors tout seul. Mon fils a ainsi généré 10,000 collisions simulant la production d’un boson de Higgs au LHC quand il avait 6 ans. Et oui, c’est facile à ce point !
Cependant, cette image simple se complique une fois que l’on prend en compte le fait que le LHC baigne dans un environnement d’interaction forte. Mais pas de panique, d’une part les codes numériques vont à nouveau nous sauver, et d’autre part ça sera le sujet d’un autre blog.
En attendant, je vous souhaite à toutes et tous une bonne fin de semaine, un bon week-end et j’attends vos commentaires (merci à @mintrawa pour continuer à lire et commenter mes posts semaine après semaine) !
A bientôt pour un nouvel épisode !