To my English-seaking readers, this article is the French adaptation of this blog in which I decipher the mysteries of supersymmetry, one of the most motivated proposals for phenomena beyond the Standard Model of particle physics.
Il y a une dizaine de jours, mon premier article scientifique de l’année est paru. Pour ceux qui s’y intéressent, il est disponible en accès libre à partir des archives en ligne. Cet article concerne les calculs de précision (un sujet déjà discuté dans mes posts) dans le cadre de la production de particules supersymétriques au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN. Par conséquent, j’ai décidé de consacrer le post du jour à la supersymétrie, c’est-à-dire le contexte de physique de cet article.
La supersymétrie est un cadre théorique très motivé pour les phénomènes nouveaux en physique des particules. On peut par exemple commencer par souligner que la supersymétrie est couverte par des centaines, voire des milliers de recherches expérimentales et d’études théoriques. Mais pourquoi tant de travail à ce sujet ?
Comme on peut le deviner, la supersymétrie est une symétrie. Mais ce n’est pas une simple symétrie. Proposée à la fin des années 1960 à partir de considérations de théorie des champs quantiques, il s’est trouvé que la supersymétrie pouvait résoudre plusieurs problèmes et limitations du Modèle Standard de la physique des particules. C’est ici que notre motivation pour la supersymétrie prend sa source.
[Crédits: Image originale de geralt (Pixabay)]
Ouverture - bosons et fermions
Nous avons deux grandes classes de particules dans notre univers, les bosons et les fermions. Nous savons que les particules élémentaires possèdent toutes un certain nombre de propriétés comme leur masse ou leur charge électrique. Elles ont aussi ce que nous appelons un spin, qui indique la quantité de moment angulaire intrinsèque que la particule porte.
Cette propriété purement quantique est soit un multiple de la moitié d’une quantité fondamentale, soit un multiple de cette même quantité fondamentale. Dans le premier cas, nous avons ce qui est appelé un fermion, tandis que dans le second cas nous avons un boson. Par exemple, les quarks et les leptons du Modèle Standard sont des fermions et les photons, les gluons, les bosons W et Z et le boson de Higgs sont tous des bosons.
Les bosons et les fermions sont très différents dans leur nature quantique. Les fermions ne peuvent co-exister dans un état quantique identique. En revanche, une telle contrainte ne s’applique pas aux bosons. C’est ce qui est communément appelé le principe d’exclusion de Pauli. Ce principe nous indique que nous pouvons empiler autant de bosons que nous voulons dans le niveau d’énergie le plus bas d’un système, mais que des fermions devront être organisés dans des niveaux d’énergie de plus en plus élevés.
Cette propriété est à la base de la structure de tout le tableau de Mendeleev et des propriétés atomiques. On peut ainsi parler de conséquences plutôt importantes pour la matière dans l’universe.
[Crédits: ALMA and NASA (CC BY 4.0)]
Acte 1 - un pont entre bosons et fermions
La supersymétrie est une symétrie qui relie bosons et fermions, créant ainsi un lien entre des particules de natures fondamentalement différentes. Autrement dit, nous pouvons voir la supersymétrie comme une symétrie associant à chaque fermion de la théorie un partenaire bosonique, et à chaque boson de la théorie un partenaire fermionique. Bien que cela puisse sembler tout au moins étrange d’associer des particules qui ont des propriétés incompatibles (comme d’être assujetties au principle d’exclusion de Pauli ou non), la théorie des champs quantiques nous dit que la supersymétrie est la symétrie la plus générale à partir de laquelle nous pouvons construire une théorie de physique des particules.
Pour expliquer cela plus facilement, prenons une théorie arbitraire, avec des bosons et des fermions. On dit que cette théorie possède une symétrie si les lois de la physique qu’elle implique sont inchangées sous l’action de la transformation associée à la symétrie. Par exemple, si je prends une pomme (quelle idée…) et la laisse tomber sur le sol (encore une fausse bonne idée…), cette pomme tombera de la même façon que je sois à Paris ou à Bruxelles, ou que je regarde vers l’est ou l’ouest. On parle d’une invariance des lois physiques sous les translations et les rotations.
Donc si je reprends ma théorie des particules, et que je l’équipe ensuite d’une symétrie, il faut que cette symétrie soit compatible avec les principes de la théorie des champs quantiques. Cette simple contrainte mène naturellement à la supersymétrie et à une relation entre bosons et fermions, l’article le démontrant étant disponible ici.
Cette conclusion nous indique que si l’on essaie de construire la théorie des particules la plus générale (et donc la plus élégante) possible, cette théorie doit être supersymétrique. On peut ainsi prendre le Modèle Standard et le rendre plus élégant en le supersymétrisant. Cela a pour conséquence de doubler son contenu en particules.
- Les quarks et les leptons du Modèle Standard sont des fermions, et reçoivent donc des partenaires bosoniques appelés squarks et sleptons.
- Les photons, gluons, bosons faibles et le boson de Higgs sont tous des bosons dans le Modèle Standard. Leurs partenaires sont des fermions appelés jauginos et higgsinos.
Nous pourrions être ici super contents avec notre nouvelle théorie plus élégante. Mais elle a une faiblesse importante. Une prédiction associée à la supersymétrie nous dit qu’une particule du Modèle Standard et son partenaire doivent avoir la même masse. Et là, c’est le drame. Les données sont formelles : cette propriété est en contradiction avec les observations.
[Crédits: yodavidsoto (Pixabay)]
Acte 2 - et le lien se brisa…
En raison du petit souci expérimental mentionné ci-dessus, il nous reste deux options. Soit on jette la supersymétrie et toute son élégance à la poubelle, soit on y implémente un mécanisme de brisure de supersymétrie. Cette idée n’est pas trop délirante. Le boson de Higgs trouve son origine dans un mécanisme de brisure de symétrie aussi, après tout (voir ici pour plus d’informations). Il n’y a donc rien de fou ou surprenant à vouloir briser la supersymétrie.
En pratique, cela signifie que l’ensemble des configurations de la théorie que la nature peut choisir satisfait les symétries de la théorie. On peut voir cela comme un cercle. Si j’effectue une rotation autour de l’axe du cercle, rien ne change. C’est bien sûr le cas parce que je considère le cercle dans son ensemble, et non pas un point particulier de celui-ci. En revanche, lorsque la nature choisit sa configuration préférée, on se concentre alors sur un point du cercle. Après une rotation, le point a changé. La symétrie est donc perdue, ou brisée dans notre jargon.
Une conséquence de ce choix de configuration préférée est que les partenaires supersymétriques des particules du Modèle Standard sont plus lourds, et ne violent alors plus aucune contrainte expérimentale. Nous avons donc une théorie qui fonctionne bien. Regardons à présent pourquoi elle est intéressante.
[Crédits: Eric Bridiers (CC BY-ND 2.0)]
Acte 3 - la supersymétrie en tant que remède miracle
Les partenaires supersymétriques n’ont pas comme unique rôle de rendre notre théorie élégante. Ils permettent aussi de résoudre un certain nombre de problèmes du Modèle Standard.
Ainsi, si la particule supersymétrique la plus légère est neutre électriquement (ce qui est facile à implémenter), elle est alors un candidat parfait pour la matière noire. Je rappelle que la matière noire est la forme de matière la plus abondante dans l’univers (elle contribue à 85% de toute la matière autour de nous). Il y a plein d’indices cosmologiques pointant vers son existence (voir par exemple ce post), mais une observation directe de matière noire est toujours manquante.
Tandis que le Modèle Standard est incapable de fournir la moindre explication à la matière noire, sa version supersymétrique le permet. Le partenaire supersymétrique le plus léger est souvent stable, et peut ainsi être un super candidat de matière noire si elle a une charge électrique nulle. De plus, ses propriétés collent en général très bien avec les attentes de la cosmologie et les contraintes actuelles.
La supersymétrie nous renseigne également sur l’unification des trois interactions fondamentales. Pour comprendre cela, il faut se rappeler que les forces des interactions dépendent de l’énergie (c’est quantique). À basse énergie, l’interaction forte est ainsi beaucoup plus forte qu’à haute énergie, et pour l’électromagnétisme c’est l’inverse.
Dans le Modèle Standard, on observe ainsi qu’il existe une énergie à laquelle les forces des trois interactions sont presque égales. Après supersymétrisation, ce ‘presque égal’ devient un ‘égal’. La supersymétrie pourrait ainsi être un jalon menant vers la Grande Unification des interactions fondamentales.
Finalement, la supersymétrie fournit naturellement un remède au problème de hiérarchie du Modèle Standard. Pour plus d’informations sur ce dernier, je vous propose de jeter un œil à ce blog plus ancien. En trois mots, le problème de hiérarchie vient du fait que la taille du champs de Higgs doit être de l’ordre des masses des bosons Z et W. Dans le Modèle Standard, la taille de ce champ est cependant envoyée à 100,000,000,000,000,000 fois cette valeur par des effets quantiques, sauf si l’on ajuste les paramètres libres de la théorie à leur 30ème chiffre significatif (ce qui est peu élégant).
Une fois la théorie supersymétrisée, les partenaires jouent également un rôle quantique et tout rentre dans l’ordre. Il s’agit à mes yeux de la meilleure motivation pour la supersymétrie, avec le fait qu’elle apparaît naturellement lorsque l’on tente de construire la théorie des champs quantiques la plus générale possible.
[Crédits: ESA (CC BY-SA IGO 3.0)]
Acte 4 - la chasse à la supersymétrie aux collisionneurs
Les effets de supersymétrie sont très recherchés aux collisionneurs passés et présents. Ainsi, le Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, le LHC, a un énorme programme de recherches de supersymétrie. Des centaines d’analyses sont en cours. Cependant, pour le moment il n’y a aucun signal émergeant des données.
Quasi toutes ces recherches se concentrent sur des signaux ayant pour origine la production d’une paire de particules supersymétriques. Ces dernières se désintègrent ensuite, soit directement soit via d’autres partenaires supersymétriques intermédiaires, en matière noire et un certain nombre de particules du Modèle Standard. Les possibilités de signature sont donc nombreuses (on a le choix en ce qui concerne les particules du Modèle Standard impliquées), et un grand nombre de possibilités ont été testées expérimentalement : quarks, leptons, Higgs, etc. De plus, nous avons aussi deux particules de matière noire dans l’état final, comme dit ci-dessus.
Comme expliqué ici, toute particule de matière noire produite dans un détecteur le quittera de façon invisible. Ainsi, un signal de supersymétrie contiendra automatiquement une grande quantité d’énergie manquante. Cette dernière provient de la conservation de l’énergie (et de l’impulsion). Toute l’énergie présente dans l’état initial d’un processus doit se retrouver dans son état final. Ainsi, si une particule de matière noire en emporte de façon invisible, de l’énergie sera manquante dans le bilan énergétique. Cela nous permet de remonter à la présence de matière noire dans un processus de collision.
Ainsi, un signal typique de supersymétrie contient un certain nombre de particules du Modèle Standard et de l’énergie manquante. Pour le moment, les données sont formelles : il n’y a rien à l’horizon…
[Crédits: CERN]
Pour ceux qui veulent tout lire en 2 minutes
Mon post du jour concerne la supersymétrie, l’une des classes de théories au-delà du Modèle Standard de la physique des particules les plus étudiées à ce jour. La supersymétrie émerge naturellement lorsque l’on essaie de construire la théorie des champs quantiques la plus générale possible. Après avoir imposé qu’une théorie soit supersymétrique, tout fermion du modèle est associé à un partenaire bosonique et tout boson du modèle se retrouve avec un partenaire fermionique.
Si nous partons du Modèle Standard, nous nous retrouvons alors à doubler le contenu en particules de la théories. Les quarks et les leptons ont comme partenaires bosoniques des squarks et des sleptons, et les médiateurs des interactions fondamentales et le boson de Higgs sont associés à des partenaires fermioniques appelés jauginos et higgsinos.
Cette configuration a d’énormes avantages. La théorie fournit à présent une explication à la matière noire, semble prédire une unification des interactions fondamentales à haute énergie et inclure un remède au problème de hiérarchie du Modèle Standard. Ainsi, de nombreuses limitations bien connues du Modèle Standard sont fixées en supersymétrie.
Par conséquent, la supersymétrie est recherchée activement dans les données. En particulier, un signal typique au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN contiendra de l’énergie manquante (emportée par la particule de matière noire prédite dans le modèle) et un certain nombre de particules du Modèle Standard. Cependant, il n’y a pour le moment aucun signal de supersymétrie dans les données. Il va nous falloir être ainsi encore un peu patient avant une découverte…
J’espère que ce post vous a plus. Comme d’habitude, questions et feedbacks sont les bienvenus en commentaires ! Je vous souhaite à toutes et tous une bonne fin de semaine, et rendez-vous la semaine prochaine pour de nouvelles aventures !