To my English readership, this post is the French version of this one, in which I discuss a general introduction to particle physics. It consists of an on-chain promotion of a presentation that I will hold at a general public event that will happen in Paris from Wednesday onward.
Je suis malheureusement affreusement en retard avec les adaptations françaises de mes blogs. Je m’excuse… au moins 2000 fois. En attendant, j’aimerais discuter d’une présentation de type grand public que je ferai durant l’événement TimeWorld 2022 qui aura lieu à Paris dans deux jours. Il s’agit d’un meeting où seront organisés une centaine de séminaires et quelques tables rondes, le tout se passant sur le campus Jussieu à Paris.
Cette année, la conférence TimeWorld se concentre sur le sujet de la construction, ce qui inclut des sujets en sciences, dans le domaine de la finance, de la cryptographie, de l’économie, de la littérature, des arts, etc. En gros, tout un tas de sujets potentiellement intéressants pour les membres de la communauté Hive.
En ce qui me concerne, j’ai prévu de discuter du contexte général de mes recherches, et je tenterai de répondre à la question suivante : est-il encore pertinent de tenter de construire des théories au-delà du Modèle Standard de la physique des particules ?
[Crédits: Image originale de la collaboration ATLAS @ CERN]
Pour faire méga court, la réponse à la question est ‘oui’. Mais voilà, je ne compte pas arrêter mon post ici. Entrons dans les détails.
Le Modèle Standard de la physique des particules en trois mots
Avant de discuter pourquoi nous avons besoin d’explorer la physique au-delà du Modèle Standard, il est utile de démarrer avec le Modèle Standard lui-même. Des blogs très détaillés sont disponibles ici et là, de sorte que je me contenterai aujourd’hui d’un court résumé (je suis capable d’écrire de façon courte… si si !).
En une ligne, le Modèle Standard de la physique des particules est le cadre théorique qui décrit les particules élémentaires et leur dynamique, c’est-à-dire comment elles interagissent les unes avec les autres. Afin de comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut remonter à la fin du 19ème siècle, lorsque Lord Kelvin avait annoncé qu’il n’y avait plus rien de neuf à découvrir en physique, et que nous étions relégués uniquement à effectuer des mesures de plus en plus précises (voir ici). Heureusement pour nous, Lord Kelvin se trompait vachement !
30 ans plus tard, les physiciens avaient découvert que les atomes étaient faits de protons, de neutrons et d’électrons, que le monde microscopique était quantique, et que certaines désintégrations radioactives menaient à la production de particules invisibles appelées neutrinos.
Avec ces quatre particules, on pouvait à nouveau penser que toute la physique était comprise. Une fois de plus, il était totalement irraisonnable de le penser.
[Crédits: IceCube (NSF)]
Les 20 années suivantes ont permis, suite à de nombreuses observations, de montrer que le monde était bien plus compliqué que prévu. Des particules nouvelles furent observées dans les rayons cosmiques et dans les résultats des premières expériences en collisionneurs de particules. En fait, on parle ici de plusieurs dizaines de nouvelles particules (chacun venant avec sa lettre grecque) : 𝜋’s, K’s, 𝛺’s, 𝜮’s, 𝜩’s, 𝜔’s, 𝚫’s, 𝜇, 𝜈e, 𝜈𝜇, etc.
Il fallait à présent comprendre comment classer tout ce zoo. C’est comme ca que le Modèle Standard a vu le jour dans les années 1960-1970.
Quarks, leptons et interactions fondamentales
En une dizaine d’années, le paysage de la physique des particules a été grandement simplifié. L’idée de base fut d’introduire un petit nombre de particules élémentaires appelées quarks, et de considérer toutes les particules connues comme des états composites faits de quarks et d’antiquarks. Cela est techniquement rendu possible par l’existence d’une interaction fondamentale appelée l’interaction forte.
Bien que le modèle de base proposé dans les années 1960 contenait trois quarks, nous savons aujourd’hui qu’il y en a 6 : les quarks up, down, étrange, charme, bottom et top. En plus, il existe 6 particules supplémentaires appelées leptons qui ne sont pas sensibles à l’interaction forte. Ces leptons incluent trois particules électriquement chargées (l’électron, le muon et le tau) et trois particules neutres (le neutrino électronique, le neutrino muonique et le neutrino tau).
[Crédits: OLCF (CC BY 2.0)]
Les 12 particules mentionnées ci-dessus ont aujourd’hui toutes été découvertes, la dernière en date étant le neutrino tau (cela a nécessité un donut… comprenne qui pourra...). Dans un autre registre, mis à part la force forte déjà introduite, le Modèle Standard décrit deux autres des interactions fondamentales : l’électromagnétisme et les interactions faibles.
Au travers du concept de symétrie de jauge, on peut voir les interactions fondamentales comme des échanges de boson entre particules interagissantes. Nous avons ainsi les photons (électromagnétisme), les bosons W et Z (interactions faibles), et les gluons (interactions fortes). Ce principe de symétrie de jauge marche redoutablement bien, comme le montrent 100 ans de données. Cependant, cela implique que les particules élémentaires sont toutes non massives, ce qui est un gros problème vu que nous savons que ce n’est pas le cas.
Un boson de Higgs à la rescousse
Afin de résoudre ce problème sans tout jeter à la poubelle (vu que les théories de jauge fonctionnent plutôt pas mal), le Modèle Standard inclut ce qu’on appelle le mécanisme de Brout-Englert-Higgs. Nous pouvons expliquer cela facilement à partir de l’image ci-dessous empruntée à la coupure de presse du prix Nobel associé :
[Crédits: Nobel Prize]
La situation initiale se trouve à gauche et correspond aux tous premiers instants de l’univers. On considère le système balle + bol, qui est symétrique. Si j’effectue une rotation autour de l’axe vertical du bol, rien ne change. Si je pousse la balle légèrement en dehors du centre, elle y retourne. L’univers primordial est donc symétrique de jauge, et la vie est non massive.
Environ 10-11 secondes après le big bang, quelque chose se passe et ‘une bosse pousse’ au centre du bol. On a alors toujours une symétrie autour de l’axe vertical du bol (une rotation autour de cet axe ne change rien), et la symétrie de jauge est toujours là. Par contre, si je pousse la balle en dehors du entre du bol, elle va tomber et s’éloigner du centre. On dit que la symétrie est brisée spontanément, ou cachée en fait.
C’est exactement comme cela que les particules deviennent massives. La nature est symétrique, mais elle choisit une direction (c’est-à-dire une façon pour la balle de tomber loin du centre du bol). Cette direction permet alors de ‘cacher’ la symétrie.
[Crédits: CERN]
Le prix à payer pour implémenter cette brisure de symétrie et une particule supplémentaire, le boson de Higgs, qu’on a découvert il y a exactement 10 ans (le 4 juillet 2012).
Bien que nous ayons découvert toutes les bestioles du Modèle Standard aujourd’hui, nous ne sommes pas encore sûr que le boson de Higgs est bien celui du Modèle Standard. Pour répondre à cette question, il nous faut vérifier les propriétés de notre boson, ce qui nécessitera probablement une bonne centaine d’années de travaux de recherche.
Lord Kelvin est donc toujours dans le faux…
Au-delà du Modèle Standard ?
À présent, nous sommes prêts à tenter de répondre à la question du titre de ce blog.
Le Modèle Standard, malgré son succès, contient plusieurs raisons qui font que ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Plusieurs limitations conceptuelles et pratiques font qu’il ne doit être qu’une partie d’une théorie plus fondamentale encore à découvrir. Et ça, c’est ce qui motive en particulier mes recherches.
Tout d’abord, dans le Modèle Standard les trois neutrinos sont non massifs. Cependant, il a été observé que les neutrinos changent de nature durant leur propagation. Ainsi, un neutrino électronique produit quelque part dans l’univers peut être détecté comme un neutrino tau, muonique ou électronique sur Terre.
[Crédits: CERN (CC BY-4.0)]
Ce phénomène n’est possible que si les neutrinos sont massifs, ce qui requiert une extension du Modèle Standard. Nous avons plusieurs façons d’effectuer cette extension rendant les neutrinos massifs, et toutes mènent à de nouvelles particules et nouveaux phénomènes.
D’un autre côté, si on suppose que le modèle standard de la cosmologie est correct (ce modèle procure le meilleur ajustement aux données cosmologiques), alors il se trouve que l’univers doit être plein de matière noire. De plus, si on suppose l’existence d’une particule de matière noire, alors on se trouve face à un problème. Le Modèle Standard (de la physique des particules) n’offre aucune possibilité pour cette particule noire. Il nous faut donc l’étendre par de nouvelles particules et de nouveaux phénomènes pour pouvoir expliquer la matière noire.
[Crédits: CERN]
D’un point de vue plus théorique, il faut également garder à l’esprit que les paramètres du Modèle Standard sont tous interconnectés les uns aux autres via des effets quantiques. Il se trouve que pour avoir cohérence avec les données, il faut fixer les paramètres du modèle jusqu’à leur 30ème décimale. Ainsi, soit la théorie s’écroule, soit elle devient hautement non élégante. On aime alors supposer qu’il existe un mécanisme permettant de stabiliser tout ça, et un tel mécanisme n’est autre que de la physique au-delà du Modèle Standard.
Et la liste de questions nécessitant des nouveaux phénomènes est bien plus longue. Par exemple, pourquoi avons-nous 26 paramètres dans le Modèle Standard (c’est un grand nombre tout de même) ? Est-ce que les particules existantes ne peuvent-elles pas être considérées comme différentes facettes d’un même objet ? Comment ajouter la gravitation au Modèle Standard ? Où est passée l’antimatière ? etc.
[Crédits: ThomasWolter (Pixabay)]
Conclusions: il nous faut des nouveaux modèles de physique !
Le Modèle Standard est le cadre théorique expliquant comment vivent les particules élémentaires. Il a été construit à partir des découvertes des cent dernières années, et son histoire est loin d’être finie (aller hop, un dernier clin d’œil à Lord Kelvin). Chaque décennie vient avec son lot d’observations mettant à mal notre compréhension de la nature et ouvrant la voie à de nouveaux développements théoriques et expérimentaux.
Ainsi, bien que le Modèle Standard fonctionne redoutablement bien, il vient avec beaucoup d’énigmes à résoudre. Il n’est donc que la partie visible de l’iceberg. En général, les physiciens développent des nouvelles théories pour étendre le Modèle Standard et résoudre une ou plusieurs de ses énigmes. Chaque tentative de solution contient son lot de phénomènes nouveaux, potentiellement observables, ce qui permet de tester toutes ces nouvelles théories. Cet exercice est sain, et il permet d’affûter notre vision du monde microscopique. Que peut-il être ? Que ne peut-il pas être ?
Pour le moment, les recherches de phénomènes nouveaux ne sont pas concluantes en terme de découvertes. Ce n’est pas un gros problème en soi, car l’exploration ne garantit aucune découverte. On apprend à chaque étape un peu plus sur ce que la façon de fonctionner de l’univers ne peut pas être. Mais il est important de continuer à pousser les limites de notre connaissance en petit peu plus loin. Peut-être que quelque chose de super intéressant se cache juste derrière le coin…
Aller, je m’arrête là pour ce matin. Pour plus d’informations, vous avez aujourd’hui deux options. Soit vous venez me voir à TimeWorld 2022 ce mercredi, soit vous pouvez écrire un commentaire à ce blog. Sur ce, je vous dis à toutes et tous à très bientôt !