For my English-speaking readership, the present post is the French adaptation of my previous blog on composite models and the reasons why they are exciting candidate theories for physics beyond the Standard Model of particle physics.
Le choix du sujet du jour est lié aux blogs futurs que j’aimerais écrire, et qui concernent mes travaux de recherche récents. Ces derniers se placent dans un contexte de modèles composites, des modèles qui consistent en de très bons candidats pour les phénomènes au-delà du Modèle Standard de la physique des particules. Mais avant de faire cela, une bonne introduction était nécessaire. C’est ce que je fais ici.
Pour ceux et celles d’entre vous pressés par le temps, je vous invite à finir de lire l’introduction à ce blog avant de passer directement à la dernière section qui est sa version courte. Pour les autres, je vous souhaite beaucoup de plaisir à lire ce texte dans son entièreté.
Il y a quelques mois, j’avais évoqué (ici) qu’il existait de très bonnes raisons pour considérer que le Modèle Standard de la physique des particules n’était que la partie visible de l’iceberg, et qu’il devait exister une théorie plus fondamentale décrivant la physique des particules élémentaires. Les modèles composites sont une option possible pour une telle théorie, et les idées de base sur lesquelles ils reposent sont au final assez simple à comprendre.
Un modèle composite comporte deux secteurs de particules.
- Un secteur du Modèle Standard avec toutes les particules élémentaires connues, sauf le boson de Higgs. Il n’y a donc pas de masse dans cette construction.
- Un secteur composite avec des particules fondamentales plus lourdes qui sont sujettes à une nouvelle interaction forte. Cette dernière amènera des nouvelles particules à former des particules composites très massives.
Le secteur composite vérifie des propriétés de symétrie qui feront qu’une particule jouant le rôle du boson de Higgs, bien plus légère donc que tous les particules composites, émerge de la théorie. Ensuite, il existe un mélange entre certaines particules composites et les particules élémentaires du Modèle Standard. Ce mélange génère les masses nécessaires pour les particules du Modèle Standard.
Voyons à présent les détails…
[Crédits: Image originale de la collaboration ATLAS (CERN)]
Le problème de la hiérarchie
Le problème de la hiérarchie est à la base de nombreuses théories au-delà du Modèle Standard. Le mot hiérarchie se réfère ici aux deux échelles d’énergie pertinentes pour le Modèle Standard : celle des masses des bosons médiateurs de l’interaction faible (les bosons W et Z) et celle menant à des effets de gravité non négligeables (la gravité n’est pas incluse dans le Modèle Standard).
Le premier régime d’énergie est ce que l’on appelle l’échelle électrofaible, et vaut environ 100 GeV (100 fois la masse du proton). Le second régime d’énergie est l’échelle de Planck et vaut 1019 GeV (ou 10,000,000,000,000,000,000 GeV). Il existe donc une forte hiérarchie entre ces deux échelles. Cette hiérarchie pose problème car le mode microscopique est quantique.
Pour voir cela, étudions un effet quantique particulier. Soit un boson de Higgs. Ce boson peut se convertir en une paire de quark-antiquark top, qui vont alors immédiatement se reconvertir en un boson de Higgs. Cette pair de quark-antiquark est virtuelle, et n’existe pas vraiment. Il s’agit juste d’un moyen pratique pour comprendre un effet de théorie des champs quantiques plus facilement, et qui permet en fait de faire les calculs. Cela signifie que ces effets virtuels ont un impact sur les quantités observables.
En pratique, il nous faut considérer tout un tas d’effets virtuels pour arriver à prédire de façon précise une quantité mesurable. Et le pire dans tout ça, c’est que cela marche redoutablement !
[Crédits: Eric Bridiers (CC BY-ND 2.0)]
Regardons à présent ’la taille du champ de Higgs’. Il s’agit du paramètre contrôlant les masses des bosons W et Z, et il doit valoir environ 100 GeV (la valeur de l’échelle électrofaible). Mais voilà, lorsqu’on rajoute les corrections quantique dans la tambouille, ce paramètre se trouve être égal à l’échelle de Planck, et vaut donc 10,000,000,000,000,000,000 GeV. Et ça, c’est pas cool !
Il existe deux façons de résoudre ce problème. Soit il existe des nouveaux phénomènes quelque part qui modifient les corrections quantiques (et ça c’est super), soit il nous faut ajuster de façon inacceptable les paramètres du Modèle Standard (et ça, c’est à nouveau pas cool).
Les effets des corrections quantiques sur la taille du champ de Higgs impliquent en effet des sommes et différences des masses des particules, de sorte que nous pouvons les ajuster finement pour avoir juste les compensations nécessaires pour obtenir 100 GeV comme résultat au calcul. Cela demande de fixer toutes les masses jusqu’à leur 30ème décimale, ce qui est extrêmement inélégant, moche, et en plus intestable expérimentalement (une telle précision est hors de notre portée).
On va donc se contenter de la première option : il existe des particules nouvelles qui nous attendent gentiment juste derrière le coin et qui impactent les corrections quantiques à la taille du Higgs. Voyons comment tout ceci se met en place dans les modèles composites.
[Crédits: CERN]
Du problème de la hiérarchie aux théories composites
Reprenons notre exemple avec le boson de Higgs et la paire de quark-antiquark top, et essayons de regarder comment faire le calcul des effets quantiques (sans entrer dans les détails bien sûr). Nous avons deux particules virtuelles, et le calcul nous demande de considérer toutes les configurations possibles. Ainsi, il faudra sommer (ou intégrer, mathématiquement parlant) tous les cas possibles pour l’énergie et l’impulsion de ces particules. Elles peuvent être softs (énergie très faible) ou dures (énergie importante). Autrement dit, leur énergie peut varier de 0 à l’échelle de Planck.
Le problème de la hiérarchie vient des configurations où l’énergie des particules virtuelles atteint l’échelle de Planck. C’est exactement à ce moment que les effets quantiques envoient la taille du champ de Higgs à 10,000,000,000,000,000,000 GeV.
Dans les modèles composites, cela se résout par l’introduction d’une échelle d’énergie intermédiaire à laquelle le contenu en particules de la théorie change. La théorie est modifiée et tout ce qui est composite doit être remplacé par les constituants fondamentaux du secteur composite. Il n’y a donc aucune raison de calculer des corrections quantiques à la taille du Higgs au-delà de l’échelle composite, car il n’y a simplement plus de Higgs en tant que tel.
Cela n’a rien de nouveau et copie la façon dont la théorie quantique de l’interaction forte (l’une des trois interactions fondamentales) fonctionne. Dans ce dernier cas, nous avons des particules élémentaires, des quarks et des antiquarks, qui se combinent à une certaine échelle de confinement pour former des protons, des neutrons et tout un zoo de particules élémentaires. Dans un cadre composite, c’est pareil mis à part que tout est plus lourd.
[Crédits: CERN]
Des particules élémentaires lourdes sont donc supposées exister à des échelles d’énergie pour le moment non sondées, et elles s’y combinent pour former tout un tas d’objets composites très massifs. Mais quid du boson de Higgs ?
Et bien en fait, ce n’est pas du tout un problème. Dans la théorie quantique de l’interaction forte, il existe des états composites bien plus légers que tous les autres : les pions. Les symétries de la théorie nous garantissent à la fois leur existence et le fait qu’elles sont légères. Dans les modèles composites, on peut alors faire pareil et se retrouver avec quelques états composites bien plus légers que tous les autres. Le boson de Higgs est alors parmi eux.
À la recherche des modèles composites
Bon, du coup nous avons un cadre composite, avec plein de nouvelles particules composites et un candidat pour jouer le rôle du boson de Higgs. Mais est-ce viable par rapport aux données ?
Et bien, en fait, pas toujours. Les bosons de Higgs composites ont des propriétés légèrement différentes de celles du boson de Higgs du Modèle Standard. Ces petites différences nous permettent de tester les modèles composites dans les données et de vérifier ce qui est permis et ce qui est exclu.
Aujourd’hui, les mesures indiquent que les propriétés du boson de Higgs sont en bon accord avec les prédictions du Modèle Standard. Mais les barres d’erreur sont toujours assez importantes, et il y a donc de la marge pour y cacher des phénomènes nouveaux (comme des signes de compositeness). Le boson de Higgs peut ainsi être de façon viable un boson composite, en tous cas pour le moment. Dans ce contexte, les collisionneurs de particules futurs joueront un grand rôle car ils sonderont les propriétés du Higgs à un niveau de précision beaucoup plus important.
[Crédits: CERN]
Comme dit ci-dessus, certaines particules légères émergent de modèles composites. Le boson de Higgs est l’une d’entre elles. Mais ce n’est pas tout. Il existe toujours au moins une autre particule légère de type Higgs, et qui est en fait bien plus légère que tout autre état (et le Higgs en particulier). Cette particule est si légère qu’elle est en fait trop légère pour être découverte au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, le LHC (trop de bruit de fond pour un tel signal). À nouveau, les collisionneurs futurs pourront nous aider, comme je l’ai étudié avec mes collaborateurs dans cette publication scientifique récente. Cela sera le sujet d’un futur blog.
De façon complémentaire, on peut essayer d’observer les résonances composites directement. Dans l’introduction de ce blog, j’ai mentionné le mécanisme permettant de générer les masses des particules du Modèle Standard. Ces dernières proviennent du mélange entre les particules élémentaires sans masse du Modèle Standard et des partenaires composites. Il existe donc une connection que nous pouvons exploiter.
Si on prend le quark top, qui est la plus lourde des particules du Modèle Standard, on s’attend alors à trouver des particules composites dans la gamme d’énergies sondée actuellement au LHC. Mais voilà, malgré toutes les recherches expérimentales en cours, nous ne trouvons rien (voir par exemple ici ou là pour des exemples de CMS et d’ATLAS).
Finalement, on peut également essayer de voir dans quelle mesure une particules composites peut jouer le rôle de particule de matière noire. Cela permet de tester les modèles à la fois en collisionneurs et à l’aide de la cosmologie. Avec mes collaborateurs, nous avons étudié cette possibilité dans cet publication récente. J’en discuterai à nouveau dans un blog futur.
La version courte ça donne quoi ?
Les modèles composites comme théorie pour la physique au-delà du Modèle Standard
Les modèles composites comme théorie pour la physique au-delà du Modèle Standard
J’ai dédié ce blog à une classe importante d’extensions du Modèle Standard de la physique des particules : les modèles composites.
Dans ces modèles, le contenu en particules de la théorie est divisé en deux. Nous avons un premier lot de particules avec les particules du Modèle Standard, sans masse et sans boson de Higgs. Ensuite, on a un second lot de particules avec des nouvelles particules fondamentales, bien plus lourdes que les particules du Modèle Standard. Ces particules sont sujettes à une nouvelle interaction forte.
Cette nouvelle force permet aux nouvelles particules de former des états composites, de la même manière que les quarks et antiquarks du Modèle Standard se combinent pour former des protons, des neutrons, des pions, etc. Parmi toutes ces particules faites de quarks et d’antiquarks, certaines sont extrêmement légères.
On peut donc copier ce mécanisme pour la nouvelle force. Les états composites seront alors très lourds, mis à part quelques exceptions. Parmi ces dernières se trouve le boson de Higgs observé récemment au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN. De plus, nous pouvons équiper la théorie d’un mécanisme permettant d’expliquer les masses des particules du Modèle Standard via un mélange entre le secteur standard et le secteur composite.
Mais est-ce que tout cela fait du sens au vu des données actuelles ? La réponse est “oui”, mais nous avons des contraintes. Tout d’abord, un Higgs composite aura des propriétés différentes d’un Higgs standard. Pour le moment, les mesures ne sont pas encore assez précises pour invalider (ou valider) l’hypothèse composite, mais nous pouvons espérer que cela va changer prochainement.
De plus, on peut tenter d’observer directement les particules composites, en particulier au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN. On peut essayer d’observer les partenaires du quark top (dont la masse est alors généré par mélange avec ces derniers), ou même des candidats de matière noire (ouvrant la voie à une étude des modèles composites à l’aide de la cosmologie).
Pour le moment, les modèles composites sont simplement contraints par les données. Mais nous pouvons espérer beaucoup plus du futur proche et plus lointain, à la fois théoriquement et expérimentalement.
Voilà pour aujourd’hui. Je pense qu’il est temps de s’arrêter ici et de répondre à vos questions s’il y en a. En ce moment, je me demande si cela vaut encore la peine d’écrire en français vu l’absence totale de réactions…
Sur ce, je vous souhaite un bon long week-end (ce le sera pour moi) et rendez-vous soit la semaine prochaine (pas sûr, une petite pause s’impose) ou dans deux semaines. A bientôt !